René Derouin nous propose, trois années après sa dernière exposition Fragments de territoires et l’installation La Ligne Dormante, tenue à l’automne 2001, sa plus récente production issue de recherches associées aux nouvelles technologies, et qui s’intitule Hiver noir.
Reconnu pour avoir fait éclater le cadre habituel de l’estampe dans les années 1980-1990 grâce, entre autres, à ses murales gravées et ses installations de taille gigantesque, il est toujours passionné par l’univers de la gravure en relief. René Derouin fait ici un retour sur cinq cents ans de gravure sur bois en réinterprétant les grandes estampes de l’histoire – et les artistes qu’il admire particulièrement. Il le fait en rendant hommage à ces artistes européens, mexicains et canadiens qui ont gravé sur bois, comme lui-même le fait depuis le milieu des années 1960. Ce sont ici les Dürer et Grünigen, artistes du Moyen-Age ou de la Renaissance allemande, les Nolde, Kirchner et Beckmann de la fin du XIXe-début du XXe siècle, les Duguay, Holgate et Dumouchel, parmi les plus grands graveurs canadiens du XXe siècle, et les Mendez et Posada, figures emblématiques de l’école Mexicaine. Derouin reconstruit par ses images composites les liens d’influence entre ces artistes et son œuvre gravé, en jetant un regard nouveau sur la mémoire et l’histoire qui sont des constantes de ses recherches.
Autre fait particulier de sa démarche, c’est à travers l’école de l’estampe révolutionnare mexicaine qu’il comprendra les expressionnistes allemands et s’interressera à la gravure en tant que forme d’engagement social. Cette exposition nous aide à comprendre le cheminement de l’artiste qui est toujours resté en marge des courants de la pratique de l’estampe au Québec dans les années 1950 et 1960, et nous montre les influences qui l’ont nourri.
C’est toutefois - et aussi par l’innovation technique que René Derouin se distingue aujourd’hui, car toutes ces images empreintes de mémoire ont d’abord été numérisées, remaniées et intégrées en de grandes compositions qui ont ensuite été imprimées numériquement grâce à la technologie de l’impression au jet d’endre. La façon de créér ces images est donc nouvelle pour l’artiste, et à la fine pointe de la création contemporaine : dessin, collage, photocopie sont tous des processus de création qui sont ici intégrés, savamment agencés par de longues interventions à l’ordinateur. Le résultat final est somptueux, mais le tout s’est fait dans la continuité propre à l’univers plastique de l’artiste.
Comme le commente si bien Manon Regimbald, dans un livre à paraître en 2005 aux éditions de l’Hexagone :
«Le coup de force de Derouin réside dans ce travail de l’appropriation et des déplacements qu’opère la citation. /…/ [cette] balise pour l’œil et l’esprit à qui elle donne rendez-vous. Équivoque, elle nous appelle et nous sollicite. Clin d’œil de l’image qui nous provoque et nous aguiche. » Dix-huit planches. /…/ . Mais au milieu des aplats sans nom, des figures s’élèvent temporairement et se mettent en chemin au fil des titres qui nous ancrent et délimitent la puissance projective des images. Épopées datées et localisées. Rubriques mexicaines. Codex mayas. Vues moyenâgeuses. Perspectives expressionnistes de la gravure allemande. Face à face japonais. Tracés inuit. Visions québécoises. Les intitulés fixent le cours de l’interprétation temporairement tout en nous empêchant de rester dans l’à-peu-près des sentiers imprévus de nos excursions et incursions à travers ce corpus si vivement morcelé.»
«La pertinence indélébile d’Hiver Noir réside tant dans son exploration osée des modes de la reproductibilité technique des arts de l’estampe que dans son appropriation judicieuse de l’histoire de la gravure sur bois.» M.R.
Au total, ce sont plus de trente œuvres sur papier qui sont offertes au public, comprenant de grandes fresques sur papier mêlant le bois gravé et le collage ainsi que les rehauts à l’huile, ces dernières s’ajoutant aux 22 estampes numériques signées et numérotées.