Bertrand Carrière

Caux
8 septembre 2004 au 16 octobre 2004

La genèse de ce projet remonte à 2002 avec la réalisation d’une installation éphémère sur la plage de Dieppe. Là, 913 portraits d’hommes furent posés sur la plage de galets, le temps d’une marée. L’installation Jubilee marquait symboliquement le 60ème anniversaire du tristement célèbre raid de Dieppe, le 19 août 1942, (connue sous le nom d’opération Jubilee) où 913 soldats canadiens sont tombés en l’espace de quelques heures dans ce que l’on considère être la pire catastrophe militaire du pays. Plusieurs des portraits installés sur la plage furent emportés par la mer. C’est ce dont traite le film 913 que l’on peut visionner lors de l’exposition. 

À la suite de cette installation, je me suis senti interpellé par ce paysage, par ce qu’il offre de contraste entre la lumière saisissante des ciels côtiers et les aspects sombres qui y sont enfouie. Ainsi est née la volonté de poursuivre mon travail sur la mémoire de ces lieux. Les photographies couleur de la série Caux offre une suite, ou plutôt le contrechamps de l’installation Jubilee. Ce que les hommes de Dieppe ont pu voir en débarquant. Un mur. 

Territoire géologique particulier, balayé par les vents violents de la mer, le paysage de cette partie du Pays de Caux agit encore comme une forteresse imprenable. Tout y semble d’une beauté dure et aride. Sanctuaire d’une mémoire douloureuse, l’Histoire semble pétrifiée dans ces lieux. Les ruines de cette partie du Mur Atlantic balisent la côte entre Berneval et Etretat et révèlent toute l’austérité de l’endroit. D’un côté s’ouvre l’infini de la mer, une ligne. De l’autre, un mur de pierre qui bloque tout. Les falaises de craie blanche s’érodent et s’écroulent doucement, comme la mémoire. Les casemates, comme des trous béants sont partout, caveaux ouverts, cachettes oubliées. Parfois squattés ou couverts de signes étranges, effondrés du haut des falaises, tombés dans les fissures du temps, ces vestiges sont le rappel d’un paysage occupé, jadis ultime rempart à prendre. Les spectres du passé semblent encore hanter ces ruines. Or, les forces de la nature ont agit avec sévérité sur ce patrimoine étrange. 

Dans ce paysage souvent monochrome, j’ai photographié la matière brute en utilisant les couleurs éteintes et minimales des lieux. La pierre de craie aux nuances de blanc et d’ocre, la mer aux tonalités bleue et vertes, les galets gris, les algues vertes qui recouvrent tout, les ruines qui jonchent la côte, voilà les seuls éléments de composition qui s’offraient à moi. J’ai aimé photographier ces lieux dans le silence de l’hiver, alors que toute chose y est drapée de mystère, d’une peau de lumière blafarde, sans ombre, sous des ciels chargés de menaces. 

Le long de cette côte, dans les sentiers déserts, parfois secrets, j’ai cherché les aspects sourds et silencieux de cette Histoire. Ainsi, par le biais du visible, j’ai voulu faire resurgir ce qui est inscrit dans ce territoire et surtout éveiller ce qui en est dramatiquement absent. 

— Bertrand Carrière

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